SOC.
OR
COUR DE CASSATION
Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 886 FP-B
Pourvoi n° U 22-14.043
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
Mme [M] [S], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 22-14.043 contre le jugement rendu le 8 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Chambéry (section commerce), dans le litige l'opposant à la société CGR, exerçant sous l'enseigne Batteries 73, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [S], de la SCP Boullez, avocat de la société CGR, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Ott, M. Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1, et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
-
Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Chambéry, 8 mars 2022), rendu en dernier ressort, Mme [S] a été engagée, le 6 mars 2017, par la société CGR.
-
Le contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie, puis de congé pathologique et prénatal du 1er au 19 août 2018. La salariée a ensuite pris un congé maternité du 20 août 2018 au 16 février 2019, puis un congé parental d'éducation à compter du 17 février 2019.
-
Le contrat de travail a pris fin le 31 octobre 2020 à la suite d'une rupture conventionnelle.
-
Le 25 mars 2021, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
- La salariée fait grief au jugement de la débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme à titre d'indemnité compensatrice de congé payé, alors « que les droits acquis ou en cours d'acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu'à la fin du congé parental ; qu'en considérant que les congés payés acquis par Mme [S] avant le début de son congé parental ne pouvaient être reportés à l'issue de ce congé au motif que la salariée n'avait pas été empêchée de les prendre à l'issue de la période de référence, ayant elle-même choisi sa date de départ en congé parental, le conseil de prud'hommes a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et L. 3141-28 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5 de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental :
-
Aux termes du premier de ces textes, tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur.
-
Selon le second de ces textes, à l'issue du congé parental d'éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.
-
La Cour de cassation a jugé que la décision du salarié de bénéficier d'un congé parental d'éducation s'impose à l'employeur, ce dont il résulte que l'intéressé, qui a lui-même rendu impossible l'exercice de son droit à congé payé, ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés (Soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.314, Bull. V, n° 32).
-
Toutefois, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C- 569/ 16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).
-
Aux termes de la clause 5, point 2, de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, les droits acquis ou en cours d'acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus en l'état jusqu'à la fin du congé parental. Ces droits s'appliquent à l'issue du congé parental, tout comme les modifications apportées à la législation, aux conventions collectives et/ou à la pratique nationales.
-
La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il ressort tant du libellé de la clause 2, point 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, dont les termes ont été repris par la clause 5, point 2, de l'accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l'annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, que du contexte dans lequel elle s'insère, que cette disposition a pour but d'éviter la perte ou la réduction des droits dérivés de la relation de travail, acquis ou en cours d'acquisition, auxquels le travailleur peut prétendre lorsqu'il entame un congé parental et de garantir que, à l'issue de ce congé, il se retrouvera, s'agissant de ces droits, dans la même situation que celle dans laquelle il était antérieurement audit congé (CJUE 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho, C- 537/07, point 39 ; 22 octobre 2009, Meerts, C- 116/08, point 39).
-
De même, la Cour de Justice (CJUE 22 avril 2010, Land Tirol, C- 486/18) a dit pour droit : « La clause 2, point 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure à l'annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une disposition nationale telle que l'article 60, dernière phrase, de la loi du Land du Tyrol relative aux agents contractuels du 8 novembre 2000, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er février 2009, selon laquelle les travailleurs, faisant usage de leur droit au congé parental de deux ans, perdent, à l'issue de ce congé, des droits à congés annuels payés acquis durant l'année précédant la naissance de leur enfant. »
-
Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Soc. 13 juin 2012, n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc. 21 septembre 2017, n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).
-
Il y a donc lieu de juger désormais qu'il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.
-
Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une somme à titre d'indemnité compensatrice de congé payé, le jugement constate que le bulletin de paie de juin 2020 faisait mention de quarante-trois jours de congés payés alors que le bulletin du mois suivant n'en mentionnait aucun. Le jugement retient que les droits à congés payés ayant été reportés à l'issue du congé maternité, la salariée a été parfaitement en mesure de prendre ses congés avant son congé parental d'éducation et n'a pas été placée dans l'impossibilité de le faire. Il ajoute que la situation des salariés en arrêt maladie ou accident de travail n'est pas comparable à celle des salariés en congé parental et que la salariée n'a pas été empêchée de prendre ses congés payés à l'issue de la période de référence ayant choisi elle-même sa date de départ en congé parental.
-
En statuant ainsi, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
-
Tel que suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
-
L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
-
La salariée, qui avait acquis quarante-trois jours de congés payés lors de la prise de son congé parental, peut prétendre, à la suite de la rupture du contrat de travail, à une indemnité compensatrice de congé payé de 2 722,04 euros brut.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 mars 2022, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Chambéry ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société CGR à payer à Mme [S] la somme de 2 722,04 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congé payé ;
Condamne la société CGR aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes de Chambéry ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société CGR et la condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.