SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
Audience publique du 1er juin 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 679 FS-B sur le premier moyen
Pourvoi n° P 20-16.836
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2022
La société Feu vert, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-16.836 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [J] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Feu vert, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 avril 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mme Ott, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
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Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 juin 2020), statuant en référé, M. [C] a été engagé le 9 avril 2002 par la société Feu vert en qualité de responsable accueil montage. Il est devenu conseiller vente en 2006. A compter de 2012, le salarié a été investi de mandats de délégué syndical, de représentant syndical au comité d'établissement, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de conseiller prud'homme et de défenseur syndical. Il exerçait ses fonctions représentatives à temps complet depuis le 1er janvier 2013.
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Au cours de l'année 2018, la société Feu vert a demandé au salarié de reprendre une activité professionnelle effective au motif que la durée de ses mandats ne couvrait plus l'intégralité de son temps de travail contractuel.
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Le 20 février 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant au paiement d'une provision à titre de rappel de salaire pour retenues sur salaire injustifiées opérées d'octobre 2018 à janvier 2019 et de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
- L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une somme provisionnelle au titre des retenues sur salaire opérées pour la période d'octobre 2018 à janvier 2019 outre les congés payés afférents, alors :
« 1°/ que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier que lorsque l'existence de son obligation n'est pas sérieusement contestable ; que s'il appartient à l'employeur d'établir, devant les juges du fond, à l'appui de sa contestation, la non-conformité de l'utilisation des heures de délégation avec l'objet du mandat représentatif, de sorte que la demande du salarié en paiement, en référé, d'une provision n'excédant pas le crédit d'heures dont il bénéficiait à ce titre n'est pas sérieusement contestable, en revanche, se heurte à une contestation sérieuse qui excède la compétence du juge des référés, la demande de provision du salarié au titre d'heures de délégation qui est contestée par l'employeur non pas en raison d'un défaut de conformité d'utilisation de celles-ci, mais parce que les mandats représentatifs du salarié ne couvrent plus désormais l'intégralité de son temps de travail, le privant ainsi du droit à la rémunération afférente ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-7 du code du travail ;
2°/ que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier, sur le fondement de l'article R. 1455-7 du code du travail, que lorsque l'existence de son obligation n'est sérieusement contestable ; qu'en décidant "qu'en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail", le conseil des prud'hommes de Chambéry s'est déclaré valablement compétent pour statuer en référé sur les rappels de salaires sollicités par le salarié à titre provisionnel, relatifs aux retenues concernant les heures de délégations, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article R. 1455-6 du code du travail ;
3°/ en tout état de cause, que si en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, encore faut-il qu'elle constate la réunion des conditions d'application de ce texte ; qu'en statuant sans avoir ni constaté ni caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 1455-6 du code du travail. »
Réponse de la Cour
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Il résulte des dispositions de l'article L. 2143-17 du code du travail que les temps de délégation sont de plein droit considérés comme temps de travail et payés à l'échéance normale.
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En application de l'article R. 1455-6 du même code, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
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La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait opéré des retenues sur le salaire mensuel du salarié au titre des heures de délégation, a ainsi caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par le remboursement des retenues ainsi opérées, peu important l'existence de la contestation sérieuse élevée par l'employeur selon lequel les mandats représentatifs du salarié ne couvraient plus l'intégralité de son temps de travail.
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Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
- L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors « qu'en se bornant à retenir, que faute pour la société Feu vert de justifier du paiement intégral des salaires de M. [C] à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quotas des heures de délégations syndicales par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, M. [C] avait subi un préjudice lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires qu'il convenait d'évaluer à la somme de 2 000 euros, sans avoir caractérisé ni la résistance abusive de l'employeur ni l'existence d'un préjudice subi par le salarié indépendant du retard de paiement et causé par la faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 et 1241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-6 du code civil :
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Selon ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
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Pour condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt retient qu'il est de principe qu'il incombe à l'employeur de démontrer, notamment par la production de pièces comptables, que le salaire dû afférent au travail effectué a été payé et que, faute pour l'employeur de justifier du paiement intégral des salaires à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quota des heures de délégation syndicale par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, le salarié a subi un préjudice, lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires, qu'il convient d'évaluer à la somme de 2 000 euros.
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En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, pris en sa première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Feu vert à payer à M. [C] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 9 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Feu vert
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SAS Feu Vert à payer à M. [C], à titre provisionnel, la somme de 2 373,15 euros, outre les congés payés afférents, au titre des retenues sur salaire opérées par l'employeur pour la période d'octobre 2018 à janvier 2019 ;
Aux motifs qu'il ressort de l'article L. 2143-17 du code du travail que les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale ; l'employeur qui entend contester l'utilisation faite des heures de délégation saisit le juge judiciaire ; la demande de M. [C] devant la formation référé du conseil des prud'hommes de [Localité 3] concerne le paiement d'un montant de 2 373,15 euros outre 237,32 euros pour congés payés afférents, au titre des retenues sur salaire opérées par l'employeur d'octobre 2018 à janvier 2019 pour les heures de délégation liées à l'exercice du droit syndical ; les dites retenues non contestées par la SAS Feu vert posent le débat de la justification par le salarié de ses heures de délégation et de représentation syndicales (conseiller prud'homal et défenseur syndical) pendant cette période, les parties étant en désaccord sur le fait que les mandats représentatifs de M. [C] couvrent désormais l'intégralité de son temps de travail ; toutefois, l'employeur qui conteste l'utilisation conforme des heures de délégation par son salarié ne peut en refuser le paiement, compte tenu du principe de présomption d'utilisation conforme, et il lui appartient de saisir a posteriori la juridiction compétente ; ainsi il appartenait à la SAS Feu vert de régler les heures de délégation de M. [C] à échéance en considération de la périodicité de la paie et ensuite de saisir le juge du fond d'une contestation éventuelle ; par conséquent, il y a lieu de constater, qu'en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail susvisé, le conseil des prud'hommes de [Localité 3] s'est déclaré valablement compétent pour statuer en référé sur les rappels de salaires sollicités par le salarié à titre provisionnel relatives aux retenues concernant les heures de délégations et il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné la SAS Feu vert à régler à M. [C] à titre provisionnel la somme de 2 373,15 euros outre 237,32 euros pour congés payés afférents, au titre des retenues sur salaire opérées par l'employeur pour la période d'octobre 2018 à janvier 2019 ;
Alors 1°) que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier que lorsque l'existence de son obligation n'est pas sérieusement contestable ; que s'il appartient à l'employeur d'établir, devant les juges du fond, à l'appui de sa contestation, la non-conformité de l'utilisation des heures de délégation avec l'objet du mandat représentatif, de sorte que la demande du salarié en paiement, en référé, d'une provision n'excédant pas le crédit d'heures dont il bénéficiait à ce titre n'est pas sérieusement contestable, en revanche, se heurte à une contestation sérieuse qui excède la compétence du juge des référés, la demande de provision du salarié au titre d'heures de délégation qui est contestée par l'employeur non pas en raison d'un défaut de conformité d'utilisation de celles-ci, mais parce que les mandats représentatifs du salarié ne couvrent plus désormais l'intégralité de son temps de travail, le privant ainsi du droit à la rémunération afférente ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-7 du code du travail ;
Alors 2°) que le conseil de prud'hommes statuant en référé n'est compétent pour accorder une provision au créancier, sur le fondement de l'article R. 1455-7 du code du travail, que lorsque l'existence de son obligation n'est sérieusement contestable ; qu'en décidant « qu'en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail », le conseil des prud'hommes de Chambéry s'est déclaré valablement compétent pour statuer en référé sur les rappels de salaires sollicités par le salarié à titre provisionnel, relatifs aux retenues concernant les heures de délégations, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article R. 1455-6 du code du travail ;
Alors 3°) et en tout état de cause, que si en vertu de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, encore faut-il qu'elle constate la réunion des conditions d'application de ce texte ; qu'en statuant sans avoir ni constaté ni caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 1455-6 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SAS Feu Vert à payer à M. [C] la somme de 2 000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Aux motifs que sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, il incombe à l'employeur de démontrer, notamment par la production de pièces comptables, que le salaire dû afférent au travail effectivement effectué a été payé ; que faute pour la SAS Feu vert de justifier du paiement intégral des salaires de M. [C] à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quotas des heures de délégations syndicales par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, il convient par voie de réformation de l'ordonnance de dire que M. [C] a subi un préjudice lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires qu'il convient d'évaluer à la somme de 2 000 € ;
Alors 1°) que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du présent chef de dispositif ;
Alors 2°) et en tout état de cause, qu'en se bornant à retenir, que faute pour la SAS Feu Vert de justifier du paiement intégral des salaires de M. [C] à compter de février 2019 dans l'attente du jugement au fond sur la contestation du quotas des heures de délégations syndicales par le conseil des prud'hommes compte tenu de la présomption de conformité, M. [C] avait subi un préjudice lié au défaut de paiement en intégralité de ses salaires qu'il convenait d'évaluer à la somme de 2 000 €, sans avoir caractérisé ni la résistance abusive de l'employeur ni l'existence d'un préjudice subi par le salarié indépendant du retard de paiement et causé par la faute de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 et 1241 du code civil.