CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION


Audience publique du 7 mars 2024

Rejet

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 193 FS-B

Pourvoi n° E 21-20.719

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 MARS 2024

M. [J] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-20.719 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B civile), dans le litige l'opposant à l'association Diaconat protestant, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bonnet, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Bonnet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Grandemange, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Chevet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

  1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 10 juin 2021), le 12 juin 2018, l'association Diaconat protestant a interjeté appel du jugement rendu par un conseil des prud'hommes dans un litige l'opposant à son salarié, M. [F].

  2. Par ordonnance du 12 janvier 2021, un conseiller de la mise en état a rejeté l'incident de péremption soulevé par le salarié.

  3. Ce dernier a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt ayant confirmé l'ordonnance.

  4. Le président de la conférence des premiers présidents de cours d'appel, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris et le président du Conseil national des barreaux ont, en application des articles L. 413-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile, déposé chacun une note écrite et les deux derniers ont été entendus à l'audience publique du 19 décembre 2023.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

  1. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que soit constatée la péremption de l'instance, alors « que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l'instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable ; qu'en considérant que, même en l'absence avérée de diligence des parties pendant plus de deux ans, la péremption de l'instance n'était pas encourue en l'espèce dans la mesure où la carence du conseiller de la mise en état, qui était seule en cause en l'occurrence, ne saurait entraver le droit d'accès effectif à une juridiction, cependant que le constat d'une péremption de l'instance en raison de l'absence de diligence des parties pendant deux ans ne méconnaît pas le droit à un procès équitable, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 386 du code de procédure civile et par fausse application l'article 6,§,1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

  1. Aux termes de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

  2. Aux termes de l'article 2 du même code, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.

  3. Selon l'article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe. Selon l'article 909 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'intimé dispose d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article précité pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

  4. Selon l'article 910-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

  5. Selon l'article 912 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l'affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, sans préjudice de l'article 910-4, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l'avis des avocats.

  6. Jusqu'à présent, la Cour de cassation jugeait, en matière de procédure d'appel avec représentation obligatoire, d'une part, que la péremption de l'instance d'appel est encourue lorsque, après avoir conclu en application des articles 908 et 909 du code de procédure civile, les parties n'ont pas pris d'initiative pour faire avancer l'instance ou obtenir du conseiller de la mise en état la fixation, en application de l'article 912 du code de procédure civile, des débats de l'affaire (2e Civ., 16 décembre 2016, pourvoi n° 15-27.917, Bull. 2016, II, n° 281), d'autre part, que la demande de la partie appelante adressée au président de la formation de jugement en vue, au motif qu'elle n'entend pas répliquer aux dernières conclusions de l'intimé, de la fixation de l'affaire pour être plaidée, interrompt le délai de péremption de l'instance mais ne le suspend pas (2e Civ., 1er février 2018, pourvoi n° 16-17.618, Bull. 2018, II, n° 20).

  7. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette jurisprudence.

  8. En effet, postérieurement à l'arrêt précité du 16 décembre 2016, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a inséré, dans le code de procédure civile, un nouvel article 910-4 qui impose aux parties, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, de présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.

  9. Lorsqu'elles ont accompli, conformément notamment aux dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'ensemble des charges leur incombant dans les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs prétentions respectives, les parties n'ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l'affaire, la direction de la procédure leur échappant alors au profit du conseiller de la mise en état.

  10. À cet égard, il ressort des auditions réalisées sur le fondement de l'article 1015-2 du code de procédure civile auxquelles il a été procédé ainsi que des documents transmis en application de l'article L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire que la demande de fixation de l'affaire à une audience se révèle, dans de nombreux cas, vaine lorsque la cour d'appel saisie se trouve dans l'impossibilité, en raison de rôles d'audience d'ores et déjà complets, de fixer l'affaire dans un délai inférieur à deux ans.

  11. Il en découle que lorsque le conseiller de la mise en état n'a pas été en mesure de fixer, avant l'expiration du délai la péremption de l'instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption.

  12. Il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière.

  13. En l'espèce, l'arrêt relève que les parties, ayant conclu dans les délais impartis par les articles 908 et 909 du code de procédure civile, n'avaient plus de diligences à accomplir, il appartenait au conseiller de la mise en état de fixer la date de clôture et celle des plaidoiries.

  14. La cour d'appel, qui a constaté que les parties avaient accompli les charges procédurales leur incombant et en l'absence de diligences particulières mises à leur charge par le conseiller de la mise en état, en a exactement déduit que la péremption n'était pas acquise.

  15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille vingt-quatre.