SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
Audience publique du 1er juin 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 633 FS-B
Pourvois n° D 21-22.857 H 21-22.860 G 21-22.861 Q 21-22.867 W 21-22.873 X 21-22.874 A 21-22.877 B 21-22.878 F 21-22.882 H 21-22.883 M 21-22.887 Q 21-22.890 D 21-22.903 K 21-22.909 M 21-22.910 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2023
1°/ La société Bosal holding France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 20],
2°/ la société Bosal Nederland BV, société de droit néerlandais, dont le siège est [Adresse 22] (Pays-Bas),
ont formé les pourvois n° D 21-22.857, H 21-22.860, G 21-22.861 Q 21-22.867, W 21-22.873, X 21-22.874, A 21-22.877, B 21-22.878, F 21-22.882, H 21-22.883, M 21-22.887, Q 21-22.890, D 21-22.903, K 21-22.909 et M 21-22.910 contre quinze arrêts rendus le 7 juillet 2021 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale) dans les litiges les opposant respectivement à :
1°/ M. [VM] [Z], domicilié [Adresse 13],
2°/ M. [I] [Y], domicilié [Adresse 1],
3°/ M. [UA] [R], domicilié [Adresse 6],
4°/ M. [E] [M], domicilié [Adresse 19],
5°/ M. [U] [H], domicilié [Adresse 3],
6°/ M. [NC] [O], domicilié [Adresse 18],
7°/ M. [A] [X], domicilié [Adresse 7],
8°/ Mme [XH] [T], domiciliée [Adresse 16],
9°/ M. [ZP] [D], domicilié [Adresse 12],
10°/ M. [LP] [P], domicilié [Adresse 11],
11°/ M. [B] [C], domicilié [Adresse 2],
12°/ M. [IR] [CX], domicilié [Adresse 14],
13°/ M. [V] [HE], domicilié [Adresse 17],
14°/ M. [L] [W], domicilié [Adresse 9],
15°/ M. [N] [J], domicilié [Adresse 15],
16°/ la société [K] Barault Maigrot, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 8], représentée par M. [G] [K], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bosal Le Rapide,
17°/ la société [F] [BK], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], représentée par Mme [F] [BK], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bosal Le Rapide,
18°/ l'UNÉDIC, délégation AGS CGEA d'[Localité 21], dont le siège est [Adresse 10],
19°/ Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 4],
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leurs pourvois, trois moyens de cassation communs.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations écrites de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Z] et des quatorze autres salariés, de la SCP Lyon-Caen et Thiriet, avocat des sociétés [K] Barault Maigrot et [F] [BK], toutes deux prises en leur qualité de liquidateur judiciaire de la société Bosal Le Rapide, les plaidoiries de Me Célice, Me Lyon-Caen et Me Grévy, ainsi que l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mme Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
- En raison de leur connexité, les pourvois n° D 21-22.857, H 21-22.860, G 21-22.861, Q 21-22.867, W 21-22.873, X 21-22.874, A 21-22.877, B 21-22.878, F 21-22.882, H 21-22.883, M 21-22.887, Q 21-22.890, D 21-22.903, K 21-22.909 et M 21-22.910, sont joints.
Déchéance partielle des pourvois
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Il résulte de l'article 978 du code de procédure civile qu'à peine de déchéance du pourvoi, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.
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Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV se sont pourvues en cassation le 22 septembre 2021 contre des décisions rendues le 7 juillet 2021 par la cour d'appel de Reims, lesquelles ont condamné l'une des parties au remboursement de sommes à Pôle emploi. Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV n'ont pas signifié à Pôle emploi, qui n'a pas constitué avocat, le mémoire ampliatif.
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Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance des pourvois en tant qu'ils sont dirigés contre Pôle emploi.
Faits et procédure
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Selon les arrêts attaqués (Reims, 7 juillet 2021), la société Bosal le Rapide, filiale de la société Bosal holding France, appartenait au groupe Bosal dont la société tête de groupe est la société Bosal Nederland BV.
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Par jugement du 24 septembre 2013, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Bosal le Rapide, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 25 février 2014.
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Par décision du 7 mars 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a homologué le document unilatéral arrêtant le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui lui était soumis par les mandataires judiciaires. Ces derniers ont notifié aux salariés protégés leur licenciement pour motif économique, le 8 avril 2014, après autorisation de l'inspection du travail.
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Par arrêt du 9 décembre 2014, une cour administrative d'appel a annulé le jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2014 et la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014. Les recours formés à l'encontre de cette décision ont été rejetés par arrêt du Conseil d'Etat du 15 mars 2017.
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M. [Z] et quatorze autres salariés, ayant exercé des mandats représentatifs au sein de la société Bosal le Rapide, ont saisi la juridiction prud'homale en contestation du bien-fondé de leur licenciement, puis en reconnaissance de la qualité de co-employeurs des sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France (les sociétés) et, subsidiairement, en responsabilité extracontractuelle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
- En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, qui est préalable
Enoncé du moyen
- Les sociétés font grief aux arrêts de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, alors « que le principe de séparation des pouvoirs interdit au juge judiciaire de se prononcer sur la légalité d'une autorisation administrative de licenciement et sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement fondé sur une telle autorisation ; qu'en l'espèce, il est constant que les salariés, qui avaient la qualité de salariés protégés, n'ont pas contesté l'autorisation de licenciement sur laquelle leur licenciement était fondé ; qu'en jugeant néanmoins qu'ils devaient bénéficier d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison de l'insuffisance des recherches de reclassement des liquidateurs judiciaires de la société Bosal le Rapide, ainsi que d'une indemnité d'éviction, au motif erroné que l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi emporte annulation de l'autorisation de licenciement, la cour d'appel a méconnu le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790. »
Réponse de la Cour
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Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal (Tribunal des conflits, 17 octobre 2011, pourvois n° 11-03828 et n° 11-03829, Bull. 2011, T. conflits, n° 24).
-
Selon une jurisprudence constante du Conseil d'État (CE, 4ème-5ème chambres réunies, 19 juillet 2017, n° 291849, publié au recueil Lebon) lorsque le licenciement pour motif économique d'un salarié protégé est inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'inspecteur du travail saisi de la demande d'autorisation de ce licenciement, ou au ministre chargé du travail statuant sur recours hiérarchique, de s'assurer de l'existence, à la date à laquelle il statue sur cette demande, d'une décision de validation ou d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée. Il en résulte que l'annulation, pour excès de pouvoir, d'une décision de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi entraîne, par voie de conséquence, l'illégalité des autorisations de licenciement accordées, à la suite de cette validation ou de cette homologation, pour l'opération concernée.
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La cour d'appel, qui a constaté que la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014 d'homologation du document unilatéral arrêtant le plan de sauvegarde de l'emploi avait été annulée par arrêt devenu définitif du 9 décembre 2014, ce dont il ressortait que les autorisations de licenciement des salariés protégés accordées par l'inspecteur du travail étaient illégales, en a exactement déduit qu'elle pouvait se prononcer sur la cause réelle et sérieuse de leur licenciement.
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Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième à septième branches
Enoncé du moyen
- Les sociétés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes tendant à écarter leur responsabilité extracontractuelle respective, de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, de les condamner in solidum à payer à chaque salarié une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties aux salariés, et le montant de l'indemnité d'éviction, alors :
« 3°/ que le juge doit caractériser le lien entre la méconnaissance de l'engagement de la société mère à l'égard de sa filiale et la déconfiture de cette dernière, pour pouvoir lui imputer les conséquences préjudiciables de cette déconfiture ; qu'en l'espèce, il est constant que l'ensemble des coûts générés par le PSE mis en oeuvre en 2011 et 2012 par la société Bosal le Rapide a été couvert par les sommes avancées par le groupe et qu'aucune société du groupe n'avait jamais demandé le remboursement de ces sommes à la société Bosal le Rapide ; que, lorsque la société Bosal le Rapide s'est retrouvée en état de cessation des paiements, elle a simplement inscrit à son passif la créance des sociétés du groupe ; qu'en se bornant à affirmer, à la suite du conseil de prud'hommes, que la société Bosal holding France a ''porté l'estocade à sa filiale, la conduisant à sa déconfiture, puis à sa liquidation judiciaire'' ''en procédant à l'inscription d'une créance de 4 800 991 euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le Rapide, contrairement à son précédent engagement'', sans faire ressortir le lien entre l'inscription d'une créance, existant dans les comptes de la société Bosal le Rapide, au passif de cette dernière et la déconfiture puis la liquidation judiciaire de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que l'état de cessation des paiements résulte de l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'en l'espèce, il ressort de la déclaration de cessation des paiements établie le 20 septembre 2013 par la société Bosal le Rapide que sa trésorerie s'élevait à seulement 130 539 euros, tandis que son passif exigible s'élevait, hors dettes à l'égard du groupe, à la somme de 1 179 795 euros ; qu'en conséquence, l'inscription de la créance du groupe au titre du passif exigible avait été sans incidence sur l'état de cessation des paiements de la société Bosal le Rapide et, partant, sur l'engagement d'une procédure de redressement judiciaire, puis sur la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide ; qu'en se fondant par motifs adoptés, sur le bilan économique, social et environnemental établi par l'administrateur qui comparait la totalité de ''l'actif déclaré'', et non seulement l'actif disponible, au passif exigible, hors créance à l'égard du groupe, pour conclure que l'inscription de la créance du groupe avait eu une incidence sur l'ouverture d'une procédure collective, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à caractériser le lien entre le prétendu reniement de l'engagement allégué de la société Bosal holding France de financer le PSE de 2011/2012 avec l'ouverture de la procédure collective de la société Bosal le Rapide ; qu'elle a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-1 du code de commerce et des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ que le juge doit caractériser le lien entre la méconnaissance de l'engagement de la société mère à l'égard de sa filiale et la déconfiture de cette dernière, pour pouvoir lui imputer les conséquences préjudiciables de cette déconfiture ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes soulignaient qu'il ressort du bilan économique, social et environnemental établi par les administrateurs judiciaires de la société Bosal le Rapide, comme du jugement du tribunal de commerce de Reims du 24 février 2014, que la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide a été prononcée en raison d'une part, de l'insuffisance du chiffre d'affaires entraînant des pertes de plus de 900 000 euros au titre des neuf premiers mois de l'exercice 2013 et de l'absence de perspective de retournement qui plaçaient la société Bosal Le Rapide dans l'incapacité de présenter un plan de redressement, et, d'autre part, de l'absence d'offre de reprise satisfaisante ; que le tribunal correctionnel avait ainsi retenu, pour écarter les délits de banqueroute et de complicité de banqueroute dont la société mère du groupe et ses dirigeants étaient prévenus, que ''la situation de Bosal le Rapide s'est dégradée au cours de l'année 2013 du fait de la situation du marché de l'automobile et de la perte de deux contrats avec les groupes Renault et Peugeot'', et non des agissements prêtés aux dirigeants du groupe ; que la dette de la société Bosal le Rapide à l'égard du groupe Bosal n'a en conséquence eu aucune incidence sur la décision du tribunal de prononcer sa liquidation judiciaire ; qu'en se bornant cependant à reprendre l'affirmation péremptoire du premier juge selon laquelle l'inscription d'une créance de 4,8 millions d'euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le rapide avait ''provoqué'' non seulement l'état de cessation des paiement de la société Bosal le Rapide, mais aussi ''la déconfiture et la liquidation judiciaire'' de cette dernière, sans expliquer en quoi l'inscription au passif exigible de la société Bosal le Rapide de cette créance, dont aucune des sociétés du groupe n'a jamais demandé le remboursement, avait pu provoquer ou même concourir à provoquer la liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°/ que le juge doit caractériser le caractère fautif des agissements de la société mère à l'égard de sa filiale, la seule affirmation que des décisions sont prises dans le seul intérêt de la société mère étant insuffisant à l'établir ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes soutenaient, en s'appuyant notamment sur les pièces de la procédure pénale et le jugement du tribunal correctionnel de Reims du 8 septembre 2017, que la cession intervenue en décembre 2012 d'une partie de l'outil de production de la société Bosal le Rapide, puis la location d'une partie de ces machines à cette dernière, avaient été décidées dans l'intérêt exclusif de la société Bosal le Rapide, pour lui fournir des liquidités ; qu'elles soulignaient que le prix de rachat des machines (400 000 euros) était bien supérieur à la valeur du matériel cédé, qui avait été évalué moins d'un an plus tard par le commissaire-priseur désigné à l'ouverture de la procédure collective à 105 500 euros et que les loyers fixés, qui constituaient une charge déductible pour la société Bosal le rapide, n'étaient pas déraisonnables ; qu'en se bornant cependant à relever, pour affirmer que ''les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France ont, dans leur seul intérêt respectif d'actionnaire, préjudiciable à la société Bosal le Rapide, concouru à la déconfiture de leur filiale'', qu'elles ont ''racheté à la société Bosal le Rapide l'ensemble de ses machines, le 22 décembre 2012, pour la somme de 400 000 euros pour établir quelques jours plus tard un bail à son profit, portant sur le même matériel de production, à raison de 6 000 euros mensuels'', sans expliquer en quoi ces mesures auraient été prises dans leur seul intérêt et auraient été préjudiciables à leur filiale, ce qui aurait supposé de mettre en évidence le caractère vil du prix de cession ou le montant excessif du loyer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7°/ qu'en relevant encore, pour affirmer que ''les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France ont, dans leur seul intérêt respectif d'actionnaire, préjudiciable à la société Bosal le Rapide, concouru à la déconfiture de leur filiale'', qu'au loyer des machines louées à la société Bosal le Rapide s'ajoutaient ''les créances du groupe liées notamment aux fournitures de matières premières, honoraires de prestations de services, prêts de trésorerie et intérêts'', sans faire ressortir le caractère injustifié ou excessif de ces facturations, ni leur incidence sur la situation économique de la société Bosal le Rapide, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
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Selon l'article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
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La cour d'appel a, d'abord, constaté que lors de l'établissement du précédent plan de sauvegarde de l'emploi de 2012 au sein de la société Bosal le Rapide, établi à l'occasion de la restructuration de son activité, la société Bosal holding France s'était engagée, par courrier du 16 novembre 2011, auprès du commissaire aux comptes, à compléter la trésorerie de sa filiale, afin de couvrir les coûts du PSE pour un maximum de 5 000 000 euros. Elle a, ensuite, relevé qu'en procédant à l'inscription d'une créance de 4 800 991 euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le Rapide, contrairement à ce précédent engagement, la société Bosal Nederland BV via la société Bosal holding France avait porté l'estocade à sa filiale, la conduisant à sa déconfiture, puis à sa liquidation judiciaire.
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De ces constatations et appréciations, elle a pu déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les sixième et septième branches, que ces deux sociétés avaient ainsi commis une faute ayant concouru à la liquidation judiciaire de leur filiale et à la disparition des emplois qui en était résultée, et qui ouvrait droit à indemnisation.
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Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
- Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV font grief aux arrêts de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, alors « que le principe de la réparation intégrale interdit de mettre à la charge de l'auteur d'une faute délictuelle l'indemnisation d'un préjudice sans lien de causalité avec cette faute ; que le tiers qui, par sa faute, concourt à la déconfiture d'une société ne peut avoir à réparer l'ensemble des conséquences préjudiciables de cette liquidation, mais uniquement celles qui découlent de sa faute ; que s'il est tenu de réparer la perte de chance, pour les salariés, de conserver un emploi, il ne peut être tenu de réparer la perte injustifiée de leur emploi résultant des irrégularités de la procédure suivie par le liquidateur judiciaire ou d'un manquement du liquidateur à l'obligation de reclassement ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations des arrêts attaqués que les licenciements des salariés étaient entachés d'une double irrégularité, en raison, d'une part, de l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi fondée sur une irrégularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise menée par les liquidateurs de la société Bosal le Rapide et, d'autre part, du manque de précision des recherches de reclassement effectuées par ces mêmes liquidateurs judiciaires ; qu'en condamnant cependant les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV, qui n'avaient pas la qualité de coemployeur, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, quand la faute qui leur était reprochée était d'avoir ''concouru'' à la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, de sorte qu'elles ne pouvaient tout au plus avoir à réparer qu'une perte de chance pour les salariés de conserver leur emploi, et non la perte injustifiée de leur emploi résultant des fautes commises par les liquidateurs, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
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Il résulte des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du code civil, que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, peu important que leurs responsabilités résultent d'obligations distinctes et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il peut être procédé entre eux, qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.
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La cour d'appel, qui a relevé que la faute commise par les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France en inscrivant une créance au passif exigible de la société Bosal le Rapide avait concouru à la liquidation judiciaire de leur filiale et à la disparition des emplois qui en était résultée, en a exactement déduit que la responsabilité extracontractuelle des sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France étant établie, celles-ci étaient redevables à l'endroit des salariés de dommages-intérêts, en réparation du préjudice fondé sur la perte injustifiée de leur emploi, quand bien même cette demande reposerait sur un fondement juridique différent de ceux retenus à l'endroit de l'employeur.
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Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
- Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 2422-4 du code du travail :
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Aux termes de ce texte, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.
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Il en résulte que ces dispositions ne sont pas applicables quand la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif ou lorsque le juge judiciaire accueille, au vu d'une jurisprudence établie, la contestation du salarié portant sur la légalité de l'autorisation de licenciement. Il appartient dans ce cas au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse de licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur.
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Après avoir retenu que les salariés avaient été licenciés en vertu d'une autorisation administrative illégale ensuite de l'annulation, par arrêt d'une cour administrative d'appel du 9 décembre 2014, de la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014 d'homologation du PSE, les arrêts fixent, pour chacun d'eux, au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide une somme à titre d'indemnité d'éviction pour la période s'étendant du licenciement jusqu'à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt du 9 décembre 2014 et condamnent in solidum les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21], des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction.
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En statuant ainsi, alors que l'autorisation administrative de licenciement définitive n'avait pas été annulée mais était illégale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
- Les sociétés font grief aux arrêts de les condamner in solidum à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties aux salariés, alors « qu'en condamnant les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à réparer le préjudice subi par l'AGS CGEA, correspondant au montant des avances consenties aux salariés, après avoir pourtant écarté la demande des salariés tendant à voir attribuer la qualité de coemployeur à ces deux sociétés, la cour d'appel a ainsi fait peser sur les sociétés exposantes la réparation d'un préjudice sans lien de causalité direct avec les fautes qui leur étaient imputées, et a violé les articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
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Les liquidateurs de la société Bosal le Rapide contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau.
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Cependant le moyen fondé sur le lien de causalité entre la faute imputée aux sociétés et le préjudice invoqué par l'AGS CGEA était inclus dans le débat devant la cour d'appel.
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Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
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Après avoir relevé que la société Bosal Nederland BV, par l'entremise de la société Bosal holding France, avait manqué à son engagement de financer le plan social de l'emploi de 2012 de la société Bosal le Rapide, et par cette faute contribué à la déconfiture de l'employeur et à la perte des emplois, les arrêts retiennent que les créances fixées au profit de chaque salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide doivent être garanties par l'AGS CGEA. Ils ajoutent que les avances consenties à chaque salarié par l'AGS CGEA constituent le montant des dommages-intérêts au paiement desquels elles sont condamnées in solidum avec l'employeur, en indemnisation du préjudice effectivement subi par l'AGS CGEA, de sorte que, in fine, les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France prendront, in solidum entre elles, en charge l'intégralité de la contribution à la dette.
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En statuant ainsi, en se fondant sur la responsabilité extracontractuelle des sociétés sans caractériser ni le préjudice subi par l'AGS CGEA ni, à le supposer établi, le lien de causalité entre ce préjudice et la faute retenue à l'encontre des sociétés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
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La cassation du chef de dispositif des arrêts condamnant in solidum les sociétés à payer à l'AGS CGEA des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction et des avances consenties aux salariés, emporte la cassation du chef de dispositif fixant au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, pour chacun des salariés, une somme au titre de l'indemnité d'éviction, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
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En revanche, elle n'emporte pas cassation des chefs de dispositif des arrêts condamnant les sociétés aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur l'encontre et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour : CONSTATE la déchéance des pourvois en tant qu'ils sont dirigés contre Pôle emploi ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils fixent au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, pour chacun des salariés, une somme au titre de l'indemnité d'éviction et condamne in solidum les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction allouée à chacun des salariés et des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties à chacun d'eux, les arrêts rendus le 7 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
CONDAMNE les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV et l'AGS CGEA d'[Localité 21] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV et les condamne à payer à Mme [T], MM. [Z], [M], [H], [O], [X], [D], [P], [C], [CX], [HE], [W], [J], [Y] et [S] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.