SOC.

JL10

COUR DE CASSATION


Audience publique du 19 juin 2024

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 643 FS-B

Pourvoi n° K 22-23.143

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 JUIN 2024

Mme [T] [G], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 22-23.143 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Adidas France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de Mme [G], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Adidas France, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mai 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

  1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 19 octobre 2022), la salariée, engagée en qualité d'employée le 1er septembre 1991 par la société Adidas France et exerçant en dernier lieu les fonctions de vendeuse, a été victime d'un accident du travail le 14 mars 2019.

  2. Reconnue apte le 3 juin 2019, puis à la suite de nouveaux arrêts de travail du 6 septembre au 9 décembre 2019, elle a été déclarée apte avec temps partiel et port de charges limité.

  3. L'employeur a proposé à la salariée un poste à temps partiel qu'elle a refusé et l'intéressée n'a pas repris le travail.

  4. Les parties ont signé une convention de rupture qui a pris effet le 22 juillet 2020.

  5. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes d'annulation de la convention de rupture et de rappel de salaire.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

  1. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 1237-13 du code du travail chaque partie dispose, à compter de la date de signature de la convention de rupture, d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit à rétractation ; que le salarié doit être en mesure de bénéficier de cette garantie dont l'existence conditionne la validité de la convention ; qu'en refusant de prononcer l'annulation de l'homologation de la rupture conventionnelle quand elle avait constaté que la société n'avait pas recommencé la procédure après la décision d'irrecevabilité de la demande prononcée par l'administration et s'était dispensée de respecter les délais légaux, la cour d'appel a d'ores et déjà violé l'article susvisé ;

2°/ que la Direccte avait, dans son courrier du 18 juin 2020 déclarant irrecevable la demande d'homologation de la convention de rupture conventionnelle entre Mme [G] et la société Adidas France, précisé qu'une demande complétée pouvait être formulée et que cette nouvelle démarche devait respecter les délais de procédure prévus par la loi ; qu'en retenant que les formalités substantielles avaient été respectées dès lors que l'employeur n'avait fait que donner des explications à l'administration, quand cette dernière avait imposé l'envoi d'une nouvelle demande comportant les éléments manquants et respectant les délais légaux, la cour d'appel a encore violé l'article L. 1237-13 du code du travail ;

3°/ qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs et les juges d'appel sont dès lors tenus de s'expliquer sur les motifs du jugement entrepris ; que le conseil de prud'hommes avait retenu pour annuler la convention de rupture que si le 2 juillet 2020 un entretien avait eu lieu entre les parties qui étaient parvenues à un accord formalisé par la signature conjointe des deux documents requis, le document Cerfa reprenait en réalité les données du premier formulaire, en omettant de mentionner le second entretien, le délai de rétractation était maintenu au 12 juin 2020 et la date de signature indiquée sur ces deux documents était le 28 mai 2020 et non le 2 juillet 2020, de sorte que non seulement ces mentions étaient insincères mais le maintien du délai de rétractation au 12 juin 2020 dans un document établi le 2 juillet était abusif et avait privé Mme [G] d'une garantie dont l'existence conditionnait la validité de la convention ; qu'en se bornant à retenir que les formalités substantielles auraient été respectées sans s'expliquer sur ce qui l'avait amenée à infirmer le jugement entrepris sur ce point, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

  1. Selon l'article L. 1237-12 du code du travail, les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens.

  2. Aux termes de l'article L. 1237-13 du même code, la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9. Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation. A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie.

  3. L'article L. 1237-14 de ce code dispose qu'à l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. Un arrêté du ministre chargé du travail fixe le modèle de cette demande. L'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie. La validité de la convention est subordonnée à son homologation.

  4. La cour d'appel, qui a constaté que l'autorité administrative avait déclaré irrecevable la demande d'homologation de la convention de rupture au regard du montant des salaires mentionné dans le formulaire de rupture et relevé que l'employeur n'avait pas recommencé la procédure après cette décision mais avait donné des explications à l'administration sans modifier les montants de salaires indiqués initialement, ces observations ne nécessitant pas une telle modification, en a exactement déduit que les formalités substantielles de la rupture avaient été respectées.

  5. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche et irrecevable car contraire à l'argumentation développée devant les juges du fond en sa troisième, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

  1. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter les rappels de salaire accordés à la seule période du 9 au 16 janvier 2020 et de la débouter de ses demandes au titre de la période postérieure, alors « que le passage à temps partiel constitue une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié, de sorte, qu'en cas de refus, l'employeur doit, s'il ne souhaite pas engager la procédure de licenciement, poursuivre l'exécution du contrat aux mêmes conditions qu'auparavant, le salarié ne devant pas perdre le bénéfice de sa rémunération ; qu'en retenant, pour débouter Mme [G] de sa demande de rappel de salaires pour la période de février à juillet 2020 que la société Adidas lui ayant proposé une réduction du temps de travail conforme aux préconisations du médecin du travail, sa liberté de refuser de signer l'avenant proposé ne justifiait pas pour autant la reprise du paiement d'un salaire à temps plein, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1221-1 et L. 1226-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1221-1 et L. 1226-8 du code du travail :

  1. Aux termes du premier de ces textes, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun.

  2. Selon le second, à l'issue des périodes de suspension définies à l'article L. 1226-7, le salarié retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente, sauf dans les conditions mentionnées à l'article L. 1226-10.

  3. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un salarié refuse la modification de son contrat de travail résultant des préconisations du médecin du travail, il peut prétendre au maintien de son salaire jusqu'à la rupture du contrat.

  4. Pour limiter les rappels de salaire accordés à la salariée à la seule période du 9 au 16 janvier 2020 et la débouter de ses demandes au titre de la période postérieure, l'arrêt retient qu'il n'est pas contesté que la salariée n'a pas effectivement travaillé sur la période dont elle réclame rémunération, qu'à partir du moment où l'employeur lui a proposé, le 16 janvier 2020, un avenant au contrat de travail conforme aux préconisations médicales, et tenant compte de ses observations sur la rémunération, son refus n'apparaît plus justifié et que sa liberté de ne pas contracter ne saurait générer le paiement du salaire à compter du 16 janvier 2020, dès lors qu'elle n'a pas fourni de travail effectif et ne s'est pas tenue à disposition de l'employeur l'après-midi à compter du 2 mars 2020.

  5. En statuant ainsi, alors que l'employeur ne peut unilatéralement imposer au salarié une durée de travail à temps partiel et procéder en conséquence à la diminution de sa rémunération sans son accord, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [G] de sa demande de rappel de salaire à compter du 16 janvier 2020 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la société Adidas France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Adidas France et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.