SOC.
LG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 30 mars 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 430 FS-B sur la seconde branche du premier moyen
Pourvoi n° M 20-18.651
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 MARS 2022
M. [E] [W], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-18.651 contre l'arrêt rendu le 9 avril 2020 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société EM courtage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [W], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société EM courtage, et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 février 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
-
Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 9 avril 2020), M. [W] a été engagé par la société EM courtage en qualité d'attaché commercial.
-
Le contrat de travail prévoyait un forfait mensuel de 198,67 heures moyennant une rémunération de 1 404 euros, portée à 1 800 euros par avenant du 23 avril 2013.
-
Le salarié, qui a été licencié le 31 octobre 2014, a saisi, le 30 septembre 2015, la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
- Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes notamment de rappel de salaire et repos compensateur, alors « que la fixation par le contrat de travail d'une rémunération mensuelle fixe forfaitaire pour un nombre précis d'heures de travail caractérise une convention de forfait de rémunération, incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires, dont le salarié peut se prévaloir pour faire appliquer la règle selon laquelle ''La rémunération du salarié ayant conclu une convention de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations pour heures supplémentaires prévues à l'articles L. 3121-22'' ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le contrat de travail de M. [W] stipulait ''un forfait mensuel fixé à 198,67 heures'' et qu' ''en contrepartie de ce travail, le salarié percevra une rémunération mensuelle brute forfaitaire de mille quatre cent euros (1 404,00 euros) correspondant à l'horaire mensuel maximal de travail défini à l'article 5-2'' ; qu'en jugeant que la clause de forfait était irrégulière, et qu'il convenait donc de revenir à la législation applicable à la durée du travail, au prétexte, d'une part que la clause ne définissait pas le nombre d'heures supplémentaires incluses dans la rémunération, d'autre part que l'employeur ne pouvait pas ne pas appliquer les majorations et contreparties afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale, la cour d'appel a violé les articles L. 3122-22 et L. 3121-41 du code du travail dans leur version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
-
Il se déduit du premier de ces textes que la rémunération au forfait ne peut résulter que d'un accord entre les parties et que la convention de forfait doit déterminer le nombre d'heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu'il percevrait en l'absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.
-
Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des contreparties en repos obligatoires, des congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de travail et pour travail dissimulé l'arrêt relève que l'employeur oppose que la clause invoquée ne constitue pas une convention de forfait régulière dans la mesure où elle fixe une rémunération forfaitaire sans définir le nombre d'heures supplémentaires incluses dans cette rémunération. L'arrêt rappelle que s'il est loisible pour un employeur et un salarié de contractualiser un volume d'heures supplémentaires en prévoyant, dans le contrat, le nombre et la rémunération correspondant aux dites heures supplémentaires, l'employeur n'est pas fondé à ne pas appliquer les majorations et contreparties afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale. L'arrêt en déduit que les clauses du contrat sont irrégulières et ne sont pas applicables et qu'il convient de revenir à la législation applicable à la durée du travail.
-
En statuant ainsi, alors que la fixation par le contrat de travail d'une rémunération mensuelle fixe forfaitaire pour 198,67 heures caractérise une convention de forfait de rémunération incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
- Le salarié fait le même grief, alors « que seul le salarié peut se prévaloir de la nullité du forfait horaire inclus dans son contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, conformément aux écritures des parties, que le salarié ''se prévala[it] de l'existence d'un forfait horaire de 198,67 heures mensuelles prévues au contrat'', mais que l'employeur lui ''oppos[ait] que la clause invoquée ne constitue pas une convention de forfait régulière'' ; qu'en rejetant la demande de M. [W] de rappel de salaire pour le nombre d'heures de travail convenu, au prétexte que les stipulations contractuelles étaient irrégulières et n'étaient pas applicables si bien qu'il convenait de revenir à la législation applicable à la durée du travail, la cour d'appel, qui a opposé au salarié des règles relevant de l'ordre public social édicté dans le seul souci de sa protection, a violé le principe susvisé, ensemble les articles L. 3122-22 et L. 3121-41 du code du travail dans leur version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
-
Il se déduit du premier de ces textes que la rémunération au forfait ne peut résulter que d'un accord entre les parties et que la convention de forfait doit déterminer le nombre d'heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu'il percevrait en l'absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.
-
Seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la convention de forfait en heures.
-
Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des contreparties en repos obligatoires, des congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de travail et pour travail dissimulé l'arrêt relève que l'employeur oppose que la clause invoquée ne constitue pas une convention de forfait régulière dans la mesure où elle fixe une rémunération forfaitaire sans définir le nombre d'heures supplémentaires incluses dans cette rémunération. L'arrêt rappelle que s'il est loisible pour un employeur et un salarié de contractualiser un volume d'heures supplémentaires en prévoyant dans le contrat le nombre et la rémunération correspondant aux dites heures supplémentaires, l'employeur n'est pas fondé à ne pas appliquer les majorations et contreparties afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale. L'arrêt en déduit que les clauses du contrat sont irrégulières et qu'il convient de revenir à la législation applicable à la durée du travail, avant de relever que le salarié verse aux débat les bulletins de salaire qui mentionnent un volume horaire de 198,67 heures mensuelles, soit quarante-sept heures supplémentaires.
-
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [W] de ses demandes en paiement de diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des contreparties en repos obligatoires, des congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de travail et pour travail dissimulé et en remise de bulletins de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes, l'arrêt rendu le 9 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société EM Courtage aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société EM courtage et la condamne à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [W] fait grief à la décision attaquée d'AVOIR confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Soissons en date du 24 mai 2016 en ce qu'il avait dit ses demandes non fondées et l'avait débouté de l'intégralité de ses demandes notamment de rappel de salaire et repos compensateur ;
-
ALORS QUE la fixation par le contrat de travail d'une rémunération mensuelle fixe forfaitaire pour un nombre précis d'heures de travail caractérise une convention de forfait de rémunération, incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires, dont le salarié peut se prévaloir pour faire appliquer la règle selon laquelle « La rémunération du salarié ayant conclu une convention de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations pour heures supplémentaires prévues à l'articles L. 3121-22 » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté (arrêt page 3 in fine et page 4) que le contrat de travail de M. [W] stipulait « un forfait mensuel fixé à 198,67 heures » et qu'« en contrepartie de ce travail, le salarié percevra une rémunération mensuelle brute forfaitaire de mille quatre cent euros (1404,00 euros) correspondant à l'horaire mensuel maximal de travail défini à l'article 5-2 » ; qu'en jugeant que la clause de forfait était irrégulière, et qu'il convenait donc de revenir à la législation applicable à la durée du travail, au prétexte, d'une part que la clause ne définissait pas le nombre d'heures supplémentaires incluses dans la rémunération, d'autre part que l'employeur ne pouvait pas ne pas appliquer les majorations et contreparties afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale (arrêt page 4, § 4 à 6), la cour d'appel a violé les articles L. 3122-22 et L. 3121-41 du code du travail dans leur version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
-
ALORS QUE seul le salarié peut se prévaloir de la nullité du forfait horaire inclus dans son contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, conformément aux écritures des parties, que le salarié « se prévala[it] de l'existence d'un forfait horaire de 198,67 heures mensuelles prévues au contrat » (arrêt page 3, sur les heures supplémentaires, § 1 et 2), mais que l'employeur lui « oppos[ait] que la clause invoquée ne constitue pas une convention de forfait régulière » (arrêt page 5, § 4) ; qu'en rejetant la demande de M. [W] de rappel de salaire pour le nombre d'heures de travail convenu, au prétexte que les stipulations contractuelles étaient irrégulières et n'étaient pas applicables si bien qu'il convenait de revenir à la législation applicable à la durée du travail, la cour d'appel, qui a opposé au salarié des règles relevant de l'ordre public social édicté dans le seul souci de sa protection, a violé le principe susvisé, ensemble les articles L. 3122-22 et L. 3121-41 du code du travail dans leur version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
SECOND MOYEN (SUBSIDIAIRE) DE CASSATION
M. [W] fait grief à la décision attaquée d'AVOIR confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Soissons en date du 24 mai 2016 en ce qu'il avait dit ses demandes non fondées et l'avait débouté de l'intégralité de ses demandes notamment de rappel de salaire et repos compensateur ;
-
ALORS QU'il ressort des constatations de la décision attaquée que chacune des fiches de paie versées aux débats par le salarié « mentionn[aient] un volume horaire de 198,67 heures mensuelles, soit 47 heures supplémentaires par mois » (arrêt page 4, § 9), conformément aux stipulations contractuelles, et ce bien que l'employeur disposât de rapports d'activités et d'agendas dont il ressortait que le salarié réalisait moins d'heures de travail (arrêt page 4 in fine et page 5) ; qu'en retenant que le salarié ne pouvait prétendre au paiement de plus d'heures de travail qu'il n'avait réalisé, quand il ressortait de ses propres constatations que l'employeur s'était engagé à rémunérer M. [W] pour 198,67 heures de travail mensuelles, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
-
ALORS en tout état de cause QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au juge de former sa conviction au regard des éléments produits par l'employeur, en tenant compte des exigences des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail qui lui imposent d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, et de tenir à la disposition de l'administration du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en admettant en l'espèce que l'employeur puisse établir l'absence d'heures supplémentaires en produisant seulement les rapports d'activités établis par le salarié et ses agendas, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 3171-4 du code du travail.