SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
Audience publique du 3 juillet 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 718 F-B
Pourvoi n° G 23-13.784
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 JUILLET 2024
M. [X] [F], domicilié [Adresse 2], [Localité 4], a formé le pourvoi n° G 23-13.784 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [F], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
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Selon l'arrêt attaqué (Douai, 27 janvier 2023), M. [F] a été engagé en qualité de guichetier le 1er mars 1982 par la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la société). Il exerçait en dernier lieu les fonctions de conseiller clientèle.
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Le salarié a été placé à plusieurs reprises en arrêt de travail pour maladie, en dernier lieu de juin 2015 au 27 décembre 2017, et par lettre du 19 décembre 2017, a sollicité de l'employeur l'organisation d'une visite de reprise.
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Il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et de demandes de rappel de salaires et dommages-intérêts au titre notamment d'un manquement à l'obligation de sécurité.
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Le salarié a été déclaré inapte au poste de travail par avis du 12 octobre 2021 du médecin du travail. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 31 décembre 2021.
Examen des moyens
Sur le pourvoi incident qui est préalable
Enoncé du moyen
- L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la contestation du licenciement, alors :
« 1°/ que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la cour d'appel a en l'espèce relevé d'office que la demande subsidiaire du salarié relative à son licenciement était recevable en application de l'article 544 du code de procédure civile dans la mesure où il était survenu au cours de l'instance d'appel ; qu'en statuant ainsi sans inviter les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que dans sa version antérieure au décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, l'article 544 du code de procédure civile dispose que "Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance" ; qu'en jugeant que ce texte autorisait les demandes nouvelles en cause d'appel, la cour d'appel l'a violé par fausse application. »
Réponse de la Cour
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D'une part, sous le couvert de violation de la loi, le vice allégué par le moyen procède d'une erreur matérielle dont la rectification sera ci-après ordonnée en application de l'article 462 du code de procédure civile.
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D'autre part, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'inviter les parties à formuler leurs observations, dès lors qu'elle se bornait à vérifier la réunion des conditions d'application de la règle de droit invoquée, n'a pas violé le principe de la contradiction.
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Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
- Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la résolution judiciaire de son contrat de travail et à la condamnation de l'employeur à lui verser certaines sommes à titre de rappel de salaire depuis le 28 décembre 2017, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement aux obligations de santé et sécurité au travail et d'indemnités de rupture, alors :
« 1°/ que l'employeur doit, dès qu'il a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, saisir le service de santé au travail afin qu'il organise l'examen de reprise ; qu'il est constant que, par lettre du 19 décembre 2017, M. [F] a informé la CRCAM NDF que son arrêt de travail se terminait le 27 décembre suivant et lui a demandé d'organiser la visite médicale de reprise ; que l'employeur, qui avait ainsi connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, n'a pas saisi le service de santé au travail même après que, le 6 février 2018, M. [F] eut réitéré sa demande d'organiser l'examen médical de reprise ; qu'en jugeant cependant que le grief tiré de la violation de l'article R. 4624-31 du code du travail ne pouvait être retenu à l'encontre de la CRCAM NDF, la cour d'appel a violé ce texte ;
2°/ que le salarié remplissant les conditions de l'article R. 4624-31 du code du travail et qui demande à l'employeur d'organiser la visite de reprise, n'est pas tenu, pour bénéficier de cet examen médical, de reprendre effectivement le travail ni de manifester, autrement que par cette demande, sa volonté de reprendre son activité ; qu'en retenant, pour dire que la CRCAM NDF n'était pas tenue de saisir le service de santé au travail, que M. [F] se bornait à solliciter l'organisation de la visite de reprise sans manifester la volonté de reprendre préalablement son emploi et qu'il ne s'était pas présenté à l'agence, la cour d'appel a violé les dispositions dudit article R. 4624-31 du code du travail ;
3°/ que lorsqu'elle est obligatoire, seule la visite de reprise met fin à la période de suspension du contrat de travail ; que tant qu'elle n'a pas eu lieu, le salarié demeure en période de suspension de son contrat et ne saurait, par conséquent, être astreint à travailler ni même à se présenter dans l'entreprise ; qu'en retenant, pour dire que la CRCAM NDF n'avait pas manqué à ses obligations, que M. [F] se bornait à solliciter l'organisation de la visite de reprise sans manifester la volonté de reprendre préalablement son emploi et qu'il ne s'était pas présenté à l'agence, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article R. 4624-31 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 4624-31 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 :
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Selon ce texte, le salarié bénéficie d'un examen de reprise après une absence d'au moins trente jours pour cause de maladie non professionnelle, et dès que l'employeur a la connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise dans un délai de huit jours à compter de la reprise du travail par le salarié.
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Il en résulte que l'initiative de la saisine du médecin du travail appartient normalement à l'employeur, dès que le salarié qui remplit les conditions pour bénéficier de cet examen, en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu'il y soit procédé.
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Pour débouter le salarié de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient que l'employeur, avisé le 3 janvier 2018 de la fin de l'arrêt de travail au 27 décembre 2017, a demandé au salarié, qui se bornait à solliciter l'organisation de la visite de reprise, sans manifester la volonté de reprendre le travail, de préalablement reprendre son emploi et retient que l'employeur, qui a le droit de demander au salarié de revenir dans l'entreprise et de reprendre son travail aux fins de passer la visite de reprise dès lors qu'elle renseigne avec précision sur l'aptitude, n'avait pas à organiser cet examen et n'avait pas à lui verser de salaire dès lors que le salarié n'avait fourni aucun travail.
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En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait informé l'employeur de la fin de son arrêt de travail, demandé l'organisation de la visite de reprise le 3 janvier 2018 et réitéré cette demande, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
- Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de l'employeur à lui verser certaines sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour nullité du licenciement prononcé le 31 décembre 2021, alors « que l'inaptitude motivant le licenciement de M. [F] était nécessairement, au moins en partie, imputable au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en matière de protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise incluant l'organisation de la visite de reprise ; que les dispositions de l'arrêt rejetant les demandes du salarié relatives à son licenciement doivent, par suite, être annulées par voie de conséquence de la cassation à intervenir sur la base du premier moyen, en application des articles 624 du code de procédure civile et L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
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En application de ce texte, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
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La cassation prononcée sur le premier moyen des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes de résolution judiciaire de son contrat de travail et de condamnation de l'employeur à lui verser certaines sommes à titre de rappel de salaire depuis le 28 décembre 2017, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement aux obligations de santé et sécurité au travail, entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif rejetant la contestation du licenciement et les demandes subséquentes, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
Rejette le pourvoi incident ;
Réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 27 janvier 2023, remplace, en page 6, trentième ligne :
« article 544 du code de procédure civile »
par :
« article 564 du code de procédure civile » ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la contestation du licenciement et déboute M. [F] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, l'arrêt rendu le 27 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié et partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille vingt-quatre.