SOC.

BD4

COUR DE CASSATION


Audience publique du 7 juin 2023

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Mme CAPITAINE, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 655 FS-B

Pourvoi n° E 21-24.514

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 JUIN 2023

Mme [R] [V], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-24.514 contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Willis Towers Watson France, venant aux droits de la société Gras Savoye, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [V], de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Willis Towers Watson France, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

  1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2021), Mme [V] a été engagée le 15 octobre 2001 en qualité de directeur adjoint par la société Gras Savoye, aux droits de laquelle vient la société Towers Willis Watson France, et par avenant du 1er mars 2012 a été promue aux fonctions de directrice de l'affinitaire, membre du comité exécutif.

  2. Elle a souscrit en 2009 à l'émission de 100 000 bons de souscription d'actions de la société Dream Management au prix de 1 euro chacune.

  3. Le 23 mars 2015, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, puis a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 10 avril 2015.

  4. Le 28 avril 2015, le directeur général lui a notifié le rachat forcé de ses bons de souscription au prix de 0.56 euros en application d'une clause du pacte d'actionnaires.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

  1. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

  1. La salariée fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce que le conseil des prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre sur la question de la validité de la clause incluse dans le pacte d'actionnaire, de rejeter sa demande tendant à ce que soit jugée abusive et irrégulière la cession de bons de souscription d'actions Dream Management intervenue le 31 juillet 2015, et de rejeter sa demande tendant à ce que l'employeur soit condamné à lui payer une somme à titre d'indemnisation du préjudice subi, alors « que si les différends pouvant s'élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d'acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale, l'octroi par l'employeur à un salarié d'une option donnant droit à une souscription d'actions et à l'attribution gratuite d'actions constitue un accessoire du contrat de travail dont la connaissance relève du conseil de prud'hommes ; qu'il en va de même du retrait du bon de souscription consécutif à son rachat forcé par l'employeur ; qu'en l'espèce, Mme [V] soulignait qu'elle avait souscrit en 2009, alors qu'elle était salariée de la société Gras Savoye et en cette qualité, 100 000 bons de souscription d'actions de la société Dream Management, et que M. [U] avait procédé à leur rachat forcé, ce dont elle a été informée le 28 avril 2015 ; qu'il en résulte qu'elle n'est jamais devenue actionnaire, et que le litige portait exclusivement sur les conditions de rachat de bons de souscription d'actions auxquels elle avait pu souscrire en sa seule qualité de salariée ; qu'en retenant pourtant que la juridiction prud'homale ne serait pas compétente pour connaître de la validité de la clause du pacte d'actionnaire prévoyant les conditions de rachat forcé des bons de souscription d'actions par les salariés quittant l'entreprise, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1411-1 du code du travail :

  1. Selon ce texte, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.

  2. Il en résulte que la demande en paiement de dommages-intérêts d'un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail.

  3. La Cour de cassation juge que la juridiction prud'homale est compétente pour connaître d'une action en réparation du préjudice subi par un salarié en exécution d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé annuellement par la majorité des actionnaires qui constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail (Soc., 9 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.800, Bull. 2008, V, n° 150).

  4. Si la juridiction prud'homale demeure incompétente pour statuer sur la validité d'un pacte d'actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d'exception, d'une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de licenciement d'un salarié la cession immédiate de ses actions.

  5. Pour rejeter ses demandes aux fins de juger abusive et irrégulière la cession d'actions Dream Management intervenue le 31 juillet 2015 et d'obtenir le paiement d'une somme au titre du préjudice en résultant, l'arrêt relève que la clause de rachat forcé d'actions n'est pas un accessoire du contrat de travail mais est insérée dans un pacte d'actionnaires distinct portant sur des actions de la société Dream Management, dont l'examen de la validité relève exclusivement de la juridiction commerciale.

  6. En statuant ainsi, alors que la demande par un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait des conditions de la rupture du contrat de travail, constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

  1. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

  2. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur la compétence pour connaître de la demande de la salariée aux fins d'obtenir des dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la cession des actions Dream Management le 31 juillet 2015.

  3. Il y a lieu de déclarer la juridiction prud'homale compétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts de la salariée au titre du préjudice subi en raison de la cession des actions Dream Management le 31 juillet 2015.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le conseil de prud'hommes de Paris incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre, et rejette les demandes de Mme [V] aux fins de juger abusive et irrégulière la cession des 100 000 actions Dream Management intervenue le 31 juillet 2015 et d'indemnisation du préjudice subi de ce fait, l'arrêt rendu le 22 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction prud'homale compétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de Mme [V] au titre du préjudice subi en raison de la cession des actions Dream Management le 31 juillet 2015 ;

Remet, sur le point restant en litige relatif au bien fondé de la demande de Mme [V] de dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la cession des actions Dream Management le 31 juillet 2015, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Willis Towers Watson France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Willis Towers Watson France et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille vingt-trois.