SOC.
COUR DE CASSATION
ZB1
QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITÉ
Audience publique du 10 octobre 2023
NON-LIEU A RENVOI
M. SOMMER, président
Arrêt n° 2030 FS-B
Pourvoi n° Q 23-13.261
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 OCTOBRE 2023
Par mémoire spécial présenté le 12 juillet 2023, la société ING Bank N.v. société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (Pays-Bas), ayant un établissement sis [Adresse 3], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° Q 23-13.261 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans une instance l'opposant à M. [R] [T], domicilié [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société ING Bank N.v., de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [T], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
-
M. [T] a été engagé par la société ING Bank N.v. le 13 août 2001 en qualité de chargé de clientèle senior.
-
Entre juin 2015 et octobre 2018, le salarié a été titulaire de mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de représentant syndical au comité d'établissement.
-
Le 20 avril 2016, le salarié a interrogé l'employeur sur la possibilité de bénéficier de la garantie de rémunération prévue par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015. Le 21 avril 2016, l'employeur l'a informé que la mise en oeuvre de la garantie devait s'apprécier au terme de ses mandats.
-
Estimant être victime de discrimination syndicale, le salarié a saisi, le 13 mars 2019, la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
-
Par jugement du 15 octobre 2019, le conseil de prud'hommes l'a débouté de ses demandes.
-
Par arrêt du 12 janvier 2023, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement, sauf en ce qu'il déboute l'employeur de sa demande reconventionnelle et lui a, notamment, ordonné de communiquer au salarié le montant correspondant aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues par les techniciens de niveau E dont l'ancienneté est comparable à celle de M. [T] entre le 17 juin 2015 et octobre 2018 et de procéder, au vu de ces éléments, au réexamen de la rémunération du salarié au mois d'octobre 2018 en application des dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
- A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la cour d'appel, l'employeur a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 2141-5-1 du code du travail issues de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, selon lesquelles les salariés investis d'un mandat de représentation du personnel, lorsque le nombre d'heures de délégation dont ils disposent sur l'année dépasse 30 % de leur durée du travail, bénéficient d'une évolution de rémunération au moins égale, sur l'ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, portent-elles atteinte, en ce qu'elles garantissent à ces salariés une évolution de leur rémunération qui n'est aucunement individualisée, au principe d'égalité devant la loi, à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété, garantis par les articles 2, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
-
La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne une demande au titre de la garantie d'évolution salariale dont bénéficient les représentants syndicaux et les représentants du personnel qui disposent d'un nombre d'heures de délégation dépassant 30 % de leur durée de travail.
-
Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
-
Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
-
D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
-
D'abord, le salarié, investi d'un mandat représentatif du personnel ou d'un mandat syndical, qui dispose d'un nombre d'heures de délégation dépassant sur l'année 30 % de sa durée du travail n'est pas dans la même situation que le salarié qui n'est titulaire d'aucun mandat ou qui dispose d'un nombre d'heures de délégation ne dépassant pas 30 % de sa durée de travail et les dispositions contestées, qui ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.
-
Ensuite, l'article L. 2141-5-1 du code du travail, dont les dispositions ne sont applicables qu'en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise plus favorable, tend à favoriser le dialogue social par la présence de représentants syndicaux et de représentants du personnel au sein des entreprises et ainsi à assurer l'effectivité de l'exercice de la liberté syndicale et du droit des travailleurs à participer à la détermination collective des conditions de travail, découlant des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en garantissant aux salariés protégés qui disposent d'un nombre d'heures de délégation dépassant sur l'année 30 % de leur durée du travail, pendant la durée de leur mandat, une évolution de rémunération au moins égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie et dont l'ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l'entreprise, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété de l'employeur.
-
En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille vingt-trois.