SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
Audience publique du 10 juillet 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 785 FS-B
Pourvoi n° X 22-20.049
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JUILLET 2024
M. [R] [V], domicilié [Adresse 1], [Localité 4], a formé le pourvoi n° X 22-20.049 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2022 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Panetta, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
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Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 15 juin 2022), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-20.561), M. [V] a été engagé en qualité d'agent administratif par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou à compter du 13 mars 1992. Il a signé une convention de forfait en jours le 29 juin 2006.
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Après avoir démissionné par lettre du 11 avril 2016, il a saisi la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016 aux fins, notamment, d'obtenir la requalification de sa démission en prise d'acte aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences de droit, ainsi que le paiement d'une somme au titre des congés payés et le prononcé de la nullité de la convention de forfait en jours.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens, réunis
Enoncé des moyens
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En son premier moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite et en conséquence irrecevable sa demande en paiement d'un rappel de salaire, outre congés payés afférents, alors « que si, lorsqu'elle s'inscrit dans le prolongement d'un autre contentieux soumis au juge prud'homal, l'action en rappel de salaire doit être introduite avant l'expiration du délai de trois ans décompté à partir de la date à laquelle les salaires auraient dû être versés et non pas à compter de celle à laquelle le salarié a eu connaissance de l'irrégularité motivant l'engagement de ce contentieux, la prescription de cette action en rappel de salaire est interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale appelée à statuer sur ce contentieux ; qu'en considérant que la demande en paiement d'un arriéré de salaires formée par M. [V] au titre des années 2013 à 2016 constituait une demande additionnelle au contentieux principal relatif à la validité de la convention de forfait en jours, qui aurait due être formée à compter du jour où il avait eu connaissance de l'irrégularité motivant l'engagement du contentieux et dont la prescription n'avait pas été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016, cependant que, dans la mesure où la demande en paiement de salaires s'inscrivait dans le prolongement de la demande visant à ce que soit annulée la convention de forfait en jours signée par les parties le 29 juin 2006, la prescription de cette action en paiement avait nécessairement été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 3245-1 du code du travail. »
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En son second moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite et en conséquence irrecevable sa demande en paiement de dommages-intérêts pour travail dissimulé, alors « que la prescription d'une action en paiement de dommages et intérêts pour travail dissimulé qui s'inscrit dans le prolongement d'un autre contentieux qui en établit de bien-fondé est interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale appelée à statuer sur ce contentieux ; qu'en considérant que la demande en paiement de dommages et intérêts pour travail dissimulé formée par M. [V] au titre des années 2013 à 2016 constituait une demande additionnelle au contentieux principal relatif à la validité de la convention de forfait en jours, qui aurait due être formée à compter du jour où il avait eu connaissance de l'irrégularité motivant l'engagement du contentieux et dont la prescription n'avait pas été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016, cependant que, dans la mesure où la demande en paiement de l'indemnité litigieuse s'inscrivait dans le prolongement de la demande visant à ce que soit annulée la convention de forfait en jours signée par les parties le 29 juin 2006, la prescription de cette action avait nécessairement été interrompue par la saisine de la juridiction prud'homale le 9 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et 2241 du code civil :
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D'abord, selon le premier de ces textes toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
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Selon le deuxième, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la demande pouvant porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
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Ensuite, il résulte du troisième de ces textes que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
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Pour déclarer prescrites et en conséquence irrecevables les demandes du salarié, l'arrêt retient, d'abord, concernant la demande de rappel de salaires, outre congés payés afférents, que c'est par ses écritures notifiées le 14 décembre 2021 que le salarié a présenté, pour la première fois, devant la cour d'appel, des demandes au titre de l'exécution de son contrat de travail, s'agissant de la condamnation de la caisse à des rappels de salaire, au titre des années 2013 à 2016, alors que dès le 9 décembre 2016, jour de la saisine du conseil de prud'hommes, il invoquait les conditions de la rupture de son contrat de travail et l'inopposabilité de sa convention de forfait en jours, de sorte qu'il avait donc nécessairement connaissance, à cette date, du fait qu'il pouvait demander le paiement des heures supplémentaires qu'il considérait avoir effectuées au titre des années 2013 à 2016, et le rappel de salaire.
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Il en déduit que l'interruption de prescription dont bénéficie la demande principale ne s'étend pas à la demande formée après l'expiration du délai de prescription et dont l'objet est différent, ce qui est bien le cas en l'espèce s'agissant de demandes fondées sur l'exécution du contrat de travail et non sur sa rupture.
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Il énonce ensuite, concernant la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qu'il s'agit, comme précédemment, d'une demande relative à l'exécution de son contrat de travail, formée pour la première fois par des conclusions notifiées le 14 décembre 2021, n'ayant pas le même objet que les demandes principales relatives à la rupture de son contrat de travail, de sorte que c'est à bon droit que la caisse invoque la prescription de cette action, laquelle a été exercée par les écritures notifiées plus de deux ans après la connaissance qu'il avait eue de l'existence des faits lui permettant de l'exercer.
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En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les demandes en paiement de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé poursuivaient le même but que la demande initiale tendant à la nullité de la convention de forfait en jours, à savoir la sanction du manquement par l'employeur à ses obligations en matière de droit au repos et paiement des heures de travail effectuées, de sorte qu'elles étaient virtuellement comprises dans la demande initiale, ce dont elle aurait dû déduire que la prescription des demandes nouvelles avait été interrompue par la demande initiale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule la convention de forfait en jours signée entre les parties le 29 juin 2006, l'arrêt rendu le 15 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Riom ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.