COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION


Audience publique du 30 mars 2022

Rejet

M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 221 F-B

Pourvoi n° P 20-11.776

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 MARS 2022

1°/ Mme [F] [Z], épouse [E],

2°/ M. [C] [E],

domiciliés tous deux [Adresse 5] (Espagne),

3°/ la société A2M, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° P 20-11.776 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [G] [K], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la société Vista, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Cleo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

4°/ à la société Ocle, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

5°/ à la société LM investissement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. et Mme [E] et de la société A2M, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 février 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

  1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 octobre 2019), la SARL Vista, créée à parts égales entre, d'un côté, la SARL LM investissement, ayant pour associé unique M. [K], et, de l'autre, M. et Mme [E], détient la totalité des titres de la SARL Cleo et de la SAS Ocle, lesquelles exploitent chacune un fonds de commerce d'optique et de lunetterie.

  2. Ces deux dernières sociétés avaient, respectivement, pour gérant et président M. [E], lequel était par ailleurs lié, ainsi que son épouse, à la société Vista, ayant pour gérant M. [K], par un contrat de travail.

  3. Le 18 mars 2015, par décisions de l'associé unique, M. [E] a été révoqué de ses deux mandats sociaux pour différents motifs liés à l'exercice d'une activité concurrente au sein d'une société A2M créée avec son épouse. Puis, le 28 mars 2015, M. et Mme [E] se sont vu notifier leur licenciement pour faute grave par la société Vista.

  4. Le 29 septembre 2015, cette dernière a assigné la société A2M ainsi que M. et Mme [E] devant un tribunal de commerce en responsabilité sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, demandant leur condamnation solidaire au paiement de certaines sommes en réparation de divers détournements dont M. et Mme [E] se seraient rendus les auteurs au profit de la société A2M. M. [K] et la société LM investissement ont été appelés à la cause, et les sociétés Cleo et Ocle sont intervenues volontairement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

  1. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

  1. Mme [E] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce compétent pour connaître du litige, alors « qu'en se fondant sur la seule circonstance que les sociétés Ocle et Cleo, filiales de la société Vista, reprochaient à Mme [E] de s'être comportée en dirigeant de fait, pour écarter la compétence de la juridiction prud'homale, sans rechercher si elle s'était effectivement comportée en dirigeant de fait ou si elle avait agi dans le cadre de ses fonctions salariées au sein de la société Vista, consistant à superviser la gestion des filiales de cette dernière, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

  1. L'arrêt énonce que, bien que n'étant titulaire d'aucun mandat social au sein des sociétés Cleo et Ocle, Mme [E] ne prétend pas que ces sociétés ne peuvent agir en responsabilité à son encontre à raison des fautes de gestion qu'elle aurait commises en tant que dirigeante de fait.

  2. Ayant, pour écarter l'exception d'incompétence dont elle était saisie, rappelé à bon droit que les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des actions en responsabilité engagées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait, la cour d'appel, qui n'a pas tenu pour établi que Mme [E] serait dirigeante de fait des sociétés Cleo et Ocle, une telle question ressortissant au bien-fondé de l'action dirigée contre elle et non à la compétence de la juridiction saisie pour en connaître, a exactement retenu que le tribunal de commerce était compétent pour connaître des demandes des sociétés Cleo et Ocle contre Mme [E].

  3. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [E] et la société A2M aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [E] et la société A2M.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait déclaré le tribunal de commerce compétent pour connaître du litige ;

Aux motifs qu' « il est constant que M. et Mme [E] occupaient l'un et l'autre un emploi salarié de cadre administratif au sein de la société Vista et étaient plus particulièrement chargés de la mise en oeuvre des conventions de management liant cette société à ses filiales, qui incluaient en particulier la définition et le développement de la stratégie commerciale, la supervision de la stratégie financière et la recherche de financements ; que si M. [E] était parallèlement le gérant de la société Cleo et le président de la société Ocle, rien ne permet d'affirmer qu'il ne bénéficiait d'aucune indépendance dans l'exercice des mandats sociaux qui lui avaient été confiés et qu'il se trouvait en réalité placé, pour l'exercice de son activité de dirigeant social, dans un état de subordination à l'égard de la société Vista ; qu'il ne peut dès lors, sauf à renverser la charge de la preuve, prétendre que seul le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des demandes dirigées à son encontre par la société Vista, peu important qu'il ait été concomitamment révoqué de ses mandats sociaux et licencié de son emploi de cadre administratif ; qu'en ce qui concerne Mme [E], bien que n'étant titulaire d'aucun mandat social au sein des sociétés Cleo et Ocle, elle ne prétend pas que ces sociétés ne peuvent agir en responsabilité à son encontre à raison des fautes de gestion qu'elle aurait commises en tant que dirigeante de fait ; que c'est donc à juste titre que le tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour connaître du litige, dont il était saisi ; qu'il n'y a pas davantage lieu de surseoir à statuer sur l'action dirigée contre la société A2M dans l'attente de la décision du conseil de prud'hommes de Perpignan, dont il n'est pas soutenu qu'il a été saisi par M. et Mme [E] d'une action visant à contester le licenciement, dont ces derniers ont fait l'objet le 28 mai 2015 » (p. 8) ;

Et aux motifs éventuellement adoptés qu' « aux termes de la loi, les dirigeants de sociétés, qu'ils soient administrateur, directeur général ou gérant, sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ; que ces actions en responsabilité ne relèvent pas de la mauvaise exécution d'un contrat de travail, mais des contestations relatives à l'exercice d'un mandat social au sein de sociétés commerciales ; qu'en l'espèce, les sociétés Ocle et Cleo entendant engager la responsabilité des époux [E], pour les fautes commises dans leur gestion, dans le cadre de leur mandat social et non dans le cadre du contrat de travail qui les liait à la SARL Vista ; que par ailleurs tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en l'espèce, la SARL Vista entend engager la responsabilité civile de la société A2M, au titre de faits de concurrence déloyale ; que ces faits constituent des contestations entre sociétés commerçantes ; qu'il convient en conséquence de se déclarer compétent pour en connaître » (jugement du 22 novembre 2013, p. 5) ;

1°) Alors que la juridiction prud'hommale est compétente pour régler les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre un employeur et son salarié ; qu'en jugeant que M. [E] n'établissait pas qu'il était placé dans un état de subordination à l'égard de la société Vista dans l'exercice de ses fonctions de dirigeant social, après avoir pourtant relevé qu'il était le salarié de la société mère, chargé à ce titre de la direction de ses filiales, et que la société Vista, qui avait pour seul objet la gestion desdites filiales, avait concomitamment mis fin aux mandats sociaux et au contrat de travail de M. [E], ce dont il résultait que, dans l'exercice de ses mandats sociaux, il avait agi en tant que salarié de la société Vista, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail ;

2°) Alors qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que M. [E] n'établissait pas qu'il ne bénéficiait d'aucune indépendance dans l'exercice de ses mandats sociaux, pour écarter la compétence de la juridiction prud'hommale, la cour a ajouté une condition à la loi et violé les articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail ;

3°) Alors qu'en refusant de prendre en compte la circonstance, pourtant opérante, que la société Vista avait concomitamment mis fin aux fonctions de M. [E] au titre de ses mandats sociaux et de son contrat de travail, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail ;

4°) Alors qu'en omettant de se prononcer, comme cela lui était demandé (conclusions d'appel, p. 14, pièce n° 54), sur la circonstance, pourtant opérante, que M. [E] était rémunéré par la société Vista pour l'exercice de ses mandats sociaux au sein des filiales du groupe, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail ;

5°) Alors qu'en se fondant sur la seule circonstance que les sociétés Ocle et Cleo, filiales de la société Vista, reprochaient à Mme [E] de s'être comportée en dirigeant de fait, pour écarter la compétence de la juridiction prud'hommale, sans rechercher si elle s'était effectivement comportée en dirigeant de fait ou si elle avait agi dans le cadre de ses fonctions salariées au sein de la société Vista, consistant à superviser la gestion des filiales de cette dernière, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail.