SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
Audience publique du 13 décembre 2023
Rejet
Mme CAPITAINE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 2175 F-B
Pourvois n° P 22-21.168 G 21-22.401 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 DÉCEMBRE 2023
La société Onet services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé les pourvois n° P 22-21.168 et G 21-22.401 contre deux arrêts rendus les 23 juillet 2021 et 8 juillet 2022 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1) dans les litiges l'opposant Mme [W] [F], domicciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui du pourvoi n° P 22-21.168, trois moyens de cassation, et à l'appui du pourvoi n° G 21-22.401, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Onet services, de Me Occhipinti, avocat de Mme [F], et l'avis écrit de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
- En raison de leur connexité, les pourvois n° G 21-22.401 et P 22-21.168 sont joints.
Faits et procédure
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Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 23 juillet 2021 et 8 juillet 2022), Mme [F] a été engagée le 1er juin 2006 par la société Onet services et exerçait en dernier lieu les fonctions de chef d'équipe.
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Elle a été déclarée inapte au poste de chef d'équipe - contrôleuse qualité le 19 août 2019 par le médecin du travail, et a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de cet avis.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen du pourvoi G 21-22.401 et le deuxième moyen du pourvoi P 22-21.168 en tant qu'ils sont dirigés contre l'arrêt du 23 juillet 2021, et sur le troisième moyen du pourvoi P 22-21.168 pris en sa première branche, en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 8 juillet 2022
- En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi G 21-22.401 et le premier moyen du pourvoi P 22-21.168 en tant qu'ils sont dirigés contre l'arrêt du 23 juillet 2021, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé des moyens
- L'employeur fait grief à l'arrêt de dire qu'en l'absence de preuve de la notification à la salariée de l'avis d'inaptitude, le délai de quinze jours de l'article R. 4624-45 du code du travail n'a pas couru et, en conséquence, de faire droit à la demande de désignation d'un médecin-inspecteur du travail formée par la salariée, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent l'employeur faisait valoir que la salariée avait nécessairement pris connaissance, au plus tard le 30 août 2019, de l'avis d'inaptitude à tout emploi rendu par le médecin du travail le 19 août 2019, de sorte que son action, introduite devant le conseil de prud'hommes le 20 septembre 2019, était prescrite faute d'avoir été introduite dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 4624-45 du code du travail ; qu'à cette fin, l'employeur produisait en pièce n° 8 un courriel du médecin du travail qui attestait de ce que la salariée s'était rendue personnellement dans les locaux de la médecine du travail au cours de la semaine du 26 au 30 août 2019 pour récupérer son avis d'inaptitude et s'en faire expliquer la teneur ainsi que ses conséquence ; que pour dire le délai de prescription de quinze jours n'avait pas commencé à courir, de sorte l'action de la salariée était recevable et non prescrite, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la reprise, dans la lettre de convocation à un entretien préalable au licenciement, des conclusions portées sur l'avis d'inaptitude est insuffisante à justifier de la connaissance par la salariée, des délais et voies de recours ; qu'en statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, le courriel du médecin du travail, régulièrement versé aux débats par l'exposante, dont il résultait que la salariée avait nécessairement pris connaissance le 30 août 2019 au plus tard de l'avis d'inaptitude émis le 19 août 2019, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
- La cour d'appel qui, après avoir analysé l'ensemble des éléments produits devant elle et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle écartait, a estimé qu'aucun élément ne permettait de retenir que l'avis dactylographié, mentionnant les voies et délais de recours par le salarié ou l'employeur, avait été remis personnellement à la salariée à l'issue de la visite, a légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen du pourvoi P 22-21.168, pris en ses deuxième et troisième branches, en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 8 juillet 2022
Enoncé du moyen
- L'employeur fait grief à l'arrêt du 8 juillet 2022 de le débouter de ses demandes de nullité et d'inopposabilité de l'expertise établie par le médecin inspecteur du travail et de substituer à l'avis du médecin du travail du 19 août 2019 la décision suivante : « Poste de contrôleur qualité : Madame [F] est inapte au poste de contrôleur qualité. Un poste de reclassement doit être recherché dans l'entreprise. Le poste de reclassement proposé ne devra pas contenir de tâches imposant de façon habituelle et répétée des mouvements de torsion et d'hyper-extension du rachis. Un poste de chef d'équipe pourrait être proposé à cette salariée. Poste de chef d'équipe : Madame [F] est apte au poste avec aménagement. Aménagement : possibilité de contrainte rachidienne ponctuelle pour vérifier un contrôle mais contre-indication définitive à remplacer les agents sur les postes de contrôleur ou de nettoyage sur une durée supérieure à une heure par jour », alors :
« 2°/ qu'il résulte de l'article L. 4624-7 du code du travail que le médecin-inspecteur du travail désigné par la juridiction prud'homale est tenu de transmettre au médecin mandaté par l'employeur, à sa demande, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, à l'exception des données recueillies dans le dossier médical partagé en application du IV de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique ; que le législateur a ainsi entendu permettre à l'employeur de faire valoir ses droits, dans le cadre d'un débat contradictoire devant la juridiction prud'homale amenée à se prononcer sur le bien-fondé d'un avis émis par le médecin du travail, en permettant à l'employeur de mandater un médecin soumis au secret professionnel qui, au cours des opérations d'expertise, pourra prendre connaissance des éléments médicaux examinés par le médecin-inspecteur du travail afin d'émettre un avis intégralement distinct quant à l'aptitude ou l'inaptitude du salarié et aux éventuelles possibilités d'aménagements de poste ou de reclassement du salarié ; qu'au cas présent, par avis du 19 août 2019, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste de travail avec dispense de recherche de reclassement, au motif que l'état de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi ; que la salariée ayant contesté le bien-fondé de cet avis, la cour d'appel a désigné le médecin-inspecteur du travail pour mener une mission d'expertise, pour laquelle l'employeur a mandaté le docteur [X] ; qu'au cas présent, il ressort des constatations de l'arrêt que l'expert a refusé de transmettre au docteur [X] le contenu des ''commentaires - examen clinique de deux comptes-rendus de visite auprès du médecin du travail'' ainsi que du commentaire du docteur [G], médecin référent de la cellule maintien dans l'emploi du service de santé au travail sur l'avis de cette cellule ; que pour valider néanmoins l'expertise et écarter l'existence d'une atteinte au principe du contradictoire, la cour d'appel a affirmé que le médecin expert n'est tenu de transmettre au médecin mandaté par la société que des éléments médicaux ayant fondé la décision d'inaptitude prise par le médecin du travail ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que les éléments dissimulés par le médecin-inspecteur du travail au médecin mandaté par l'employeur avaient, par leur nature, nécessairement fondé – ne serait-ce que partiellement – l'avis d'inaptitude avec dispense de reclassement émis par le médecin du travail sans qu'il n'apparaisse que ces éléments auraient relevé du dossier médical partagé visé par l'article L. 1111-17 du code de la santé publique, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 4624-7 du code du travail ensemble l'article 16 du code de procédure civile et l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
3°/ que tout jugement doit être motivé et qu'un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; que pour contester la validité de l'expertise en raison d'une atteinte au principe du contradictoire, l'employeur faisait notamment valoir, avec offre de preuves, que l'expert, médecin-inspecteur du travail, avait volontairement dissimulé au docteur [X] le commentaire apposé par le docteur [G], médecin référent de la cellule maintien dans l'emploi du service de santé au travail, alors que le médecin du travail s'était nécessairement fondé sur cet élément pour déclarer la salariée inapte à son poste de travail et préciser que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement ; qu'en validant néanmoins l'expertise menée par le médecin-inspecteur du travail aux motifs que le médecin-expert, ''par mail du 26 octobre 2021 a précisé la qualité du docteur [G]'' ce dont elle a déduit qu'il n'y a pas d'atteinte au respect du principe de contradictoire, la cour d'appel, qui n'a pas répondu au moyen soulevé par l'employeur, assorti d'offres de preuve et déterminant pour l'issue du litige, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
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Selon l'article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes en la forme des référés d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4. Le médecin du travail, informé de la contestation par l'employeur, n'est pas partie au litige. Le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci, peut, le cas échéant, s'adjoindre le concours de tiers. A la demande de l'employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail peuvent être notifiés au médecin que l'employeur mandate à cet effet. Le salarié est informé de cette notification.
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Il résulte de ces dispositions que le médecin inspecteur du travail n'est tenu de communiquer au médecin mandaté par l'employeur que les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, à l'exclusion de tout autre élément porté à sa connaissance dans le cadre de l'exécution de sa mission.
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La cour d'appel, qui a constaté que le médecin inspecteur du travail avait refusé de communiquer au médecin mandaté par l'employeur des éléments du dossier médical de santé au travail du salarié qui n'étaient ni des éléments médicaux ni des éléments ayant fondé l'avis d'inaptitude contesté, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Onet services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Onet services et la condamne à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille vingt-trois.